Le bouc émissaire en institution, retour sur un phénomène inévitable ?

Une contribution de Rémi CASANOVA (pp.63-84) au livre de Casanova R. et Sébastien Pesce S. (dir.), La violence en institution, situations critiques et significations, paru aux Presses Universitaires de Rennes en 2015.

Violence en institution, bouc émissaire, Rémi Casanova, Sébastien Pesce

Une contribution de Rémi Casanova sur le bouc émissaire comme phénomène inévitable dans les institutions.

L’introduction du texte : Ce texte s’appuie sur plus d’une dizaine d’années de travail et concerne la question du bouc émissaire tant d’un point de vue théorique que dans ses manifestations pratiques. Cette longue expérience a permis d’une part d’affiner la définition du bouc émissaire, d’autre part de repérer, d’analyser voire de modéliser des stratégies de prise en compte individuelles, collectives, institutionnelles, managériales, politiques du phénomène.

C’est ainsi à une sorte de synthèse que nous invite cette contribution en posant une question devenue essentielle à nos yeux tant le phénomène semble se discerner et se répéter en tout lieu institutionnel : « le bouc émissaire est-il inévitable en institution ? ». Cette question, nous l’inscrivons dans le champ scientifique sous la forme de deux hypothèses : la première concerne le processus du bouc émissaire et nous l’énonçons ainsi « le phénomène du bouc émissaire est inévitable en institution » ; la seconde concerne l’incarnation du bouc émissaire et peut s’énoncer de la façon suivante : « l’émergence de la figure du bouc émissaire n’est pas inéluctable en institution ». De ces deux hypothèses, nous n’en ferons plus qu’une : «  le bouc émissaire est un phénomène inévitable dont l’incarnation n’est pas inéluctable ».

Dans un premier temps nous nous intéresserons à l’institution. A travers les éléments qui la constituent et les étapes qui la construisent, de même qu’à travers les problématiques essentielles qui la traversent, nous comprendrons pourquoi le phénomène bouc émissaire trouve là un terreau favorable à son développement.

Dans un deuxième temps, nous proposerons la définition du phénomène du bouc émissaire que nous décrypterons à partir de grandes thématiques qui le constituent. Dans un troisième temps, nous analyserons plus finement les étapes constitutives du phénomène, nous arrêtant notamment sur ce qui les justifient : les tabous institutionnels. Enfin pour conclure, nous mettrons en parallèle la construction de la figure du bouc émissaire avec le processus que nous aurons longuement développé précédemment.

La conclusion du texte : Pour conclure, la construction de la figure du bouc émissaire.

Reprenons pour conclure le bouc émissaire du point de vue de la construction de ses figures. En effet, comme nous avons développé l’idée tout au long de ce texte, qu’à un moment du processus, le bouc émissaire s’incarne. Voici alors la définition que nous proposons du bouc émissaire, dès lors qu’il s’incarne. Ce qui est avéré pour une personne l’est également pour les groupes sociaux ou les institutions : « Est bouc émissaire celui qui, au prix de son exclusion, est l’instrument de la réconciliation des membres du groupe ». C’est un processus en trois étapes qui se développe autour de celui qui deviendra le bouc émissaire : discrimination – stigmatisation – exclusion.

Dans un premier temps, l’opération mentale, sociale, culturelle et psychologique de discrimination se développe. Chacun distingue, différencie, catégorise, classe les autres en fonction de critères qui lui appartiennent mais qui sont en grande partie partagés par la majorité des membres du groupe. De fait, certains membres du groupe se trouvent plus ou moins isolés, plus ou moins aux marges du groupe. Nous l’avons vu, aux signes personnels s’ajoutent les signes inhérents au groupe et à l’institution dans leur dimension historique et surtout fonctionnelle. Certains signes sont par ailleurs hérités, d’autres construits dans l’hic et nunc institutionnel.

Puis l’attribution d’effets négatifs à la discrimination amène la stigmatisation. Certaines catégories, certaines différences vont se voir attribuer pour des raisons justes ou fallacieuses, des valeurs négatives porteuses de rejet. A travers cette désignation, l’occultation de sujets douloureux à aborder est rendue possible. La désignation collective marque la possible exclusion du groupe.

Enfin, la stigmatisation favorise puis autorise l’exclusion dès lors que celle-ci apparaît comme un gage de meilleure santé à venir du groupe. C’est lorsque la stigmatisation est portée par suffisamment de membres du groupe – souvent sur des registres variés-, que l’exclusion devient collective et relève du phénomène du bouc émissaire.

Mais attention : le bouc émissaire, phénomène collectif, doit de surcroît permettre la réconciliation du groupe par la substitution. Ainsi, si l’exclu n’est pas l’instrument de la réconciliation d’une part, s’il n’évite pas au groupe la confrontation à ses tabous ou antagonismes réels, l’exclu n’est pas le bouc émissaire. En cela si le phénomène semble inévitable, la figure du bouc émissaire n’est pas inéluctable.

Les références bibliographiques utilisées pour le texte :

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